Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/355

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et, sur les coteaux, très loin, par delà la plaine toute noire, de petits points lumineux, pareils à de scintillantes étoiles, indiquaient le camp ennemi. Les clairons sonnaient toujours, et chaque coup de clairon le faisait tressaillir, s’arrêter un instant, et puis, il reprenait sa course, la peau mordue et gercée par le froid, sous sa vareuse de laine mince et déchirée. De temps à autre, il entendait, avec un indicible frémissement de tout son être, des troupes s’ébranler, passer près de lui, dans le noir, s’éloigner dans la plaine ; et il pensait que ce serait bientôt son tour. Un compagnon vint le rejoindre qui se mit à courir avec lui.

— Je crois que ça va chauffer, aujourd’hui ! dit le compagnon, qui s’ébroua en courant.

Sébastien ne répondit pas. Après un silence, le compagnon reprit :

— Tu sais que Gautier n’a pas répondu à l’appel ?

— Il est tué ? demanda indifféremment Sébastien.

— Ouat !… Il a fichu le camp, le malin !… Il y a longtemps qu’il me l’avait dit qu’il ficherait le camp !… Ça ne finira donc jamais, cette sacrée guerre-là !…

Tous les deux poussèrent un soupir et se turent.

Le jour fut lent à paraître. La plaine d’abord se dévoila, brune, rase, unie et piétinée, ainsi qu’un champ de manœuvres. Des cavaliers y galopaient, blanchâtres, égaillés, carabine au poing, leurs manteaux flottants ; des masses noires, des masses profondes d’infanterie, évoluaient, s’avançaient ; une batterie s’acheminait, à droite, vers un monticule boisé, et sur le sol gelé faisait un bruit retentissant de métal, un fracas de plaques de tôle entre-