Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/359

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nirs, et d’autres plus lointains, et il s’inquiétait de n’avoir pas revu Bolorec, depuis la veille. Tout à coup, une sonnerie de clairon qu’il connaissait trop le fit tressaillir. Les hommes quittèrent leurs places à regret, et lui-même, mordu par l’angoisse, alla rejoindre sa compagnie qui, bientôt, se dirigea vers le monticule boisé à droite duquel les artilleurs mettaient les pièces en batterie. Des mobiles étaient là qui piochaient la terre, dure ainsi que du granit, et construisaient des épaulements pour protéger les canons. Sébastien fut heureux d’y rencontrer Bolorec qui, armé d’une pelle, s’escrimait vainement contre le sol gelé. On lui donna une pioche, et, les deux compagnies s’étant mêlées, il vint se mettre à côté de Bolorec, sous la gueule noire des canons, muette encore et sinistre. Le capitaine se promenait parmi les soldats, en fumant sa pipe d’un air préoccupé. Il ne paraissait pas gai, sachant que toute résistance était inutile. De temps en temps, il observait, avec sa lorgnette, les mouvements de l’armée ennemie et hochait la tête. C’était un petit homme, gros, court, ventru, à face débonnaire, et dont les moustaches grises étaient coupées en brosse. Il aimait son cheval blanc, court comme lui, et solidement râblé, qu’une ordonnance tenait en main, près d’un caisson, car il venait souvent le flatter sur le poitrail, comme pour lui donner de la résignation. Il était paternel avec ses hommes, causait avec eux, ému sans doute de toutes ces pauvres existences sacrifiées pour rien.

— Allons, mes enfants, dépêchons, disait-il.

Mais le travail n’avançait pas, à cause du sol trop dur, contre lequel les pointes des pioches