Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/362

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resser beaucoup à la manœuvre. Le lieutenant l’accompagnait.

— Est-ce que je ne pourrais pas tirer un coup de canon ? demanda-t-il.

— Si ça vous fait plaisir, ne vous gênez pas…

— Merci ! Ce serait très drôle si j’envoyais un obus au milieu de ces Prussiens, là-bas… Ne trouvez-vous pas que ce serait très drôle ?

Ils rirent tous les deux, discrètement. Le jeune homme pointa la pièce et commanda le feu. L’obus s’égara dans la plaine, où il éclata, à cinq cents mètres des Prussiens.

Ce fut le signal du combat.

Aussitôt l’horizon s’embrasa, se voila de fumée et, coup sur coup, cinq obus tombèrent et éclatèrent au milieu des mobiles qui travaillaient. L’officier d’ordonnance, déjà, détalait ventre à terre, courbé sur le cou de son cheval. Les hommes se couchèrent, et la batterie tonna sans relâche, ébranlant le sol de ses voix furieuses. Sébastien et Bolorec étaient l’un près de l’autre, étendus, le menton contre la terre ; ils ne voyaient plus rien, plus rien que d’immenses colonnes de vapeur qui grandissaient, envahissaient l’atmosphère, traversée du passage continu des obus et des boulets. Dans la plaine, les troupes ébranlées commençaient des feux de mousqueterie.

— Dis donc ? interrogea Bolorec.

Sébastien ne répondit pas.

Derrière eux, malgré les secousses et les détonations hurlantes, ils entendaient les clameurs des voix, des appels de clairon, des galops, des roulements de lourds véhicules.

— Dis donc ? répéta Bolorec.