Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/361

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chait la plaie, dont les bords étaient roses. Sébastien fut pris d’une grande pitié. Il oublia ce que jadis il avait souffert par Guy de Kerdaniel, et il se découvrit pieusement, respectueusement, devant ce cadavre rigide qu’il aurait voulu embrasser. Bolorec regardait aussi le mort, d’un œil tranquille et froid.

— Tu ne le reconnais pas ? interrogea Sébastien.

— Si… si… fit Bolorec.

— Pauvre Guy !… soupira encore Sébastien qui sentait les larmes affluer à ses yeux… Pauvre Guy !

Alors Bolorec lui saisit le bras, vivement, lui montra tous les mobiles effarés qui travaillaient, fils de paysans et de misérables.

— Eh bien ! et ceux-là !… Est-ce juste ? Tantôt beaucoup seront morts… Lui…

Il se retourna vers la charrette qui s’éloignait cahotant sur les mottes.

— Lui !… un riche… un noble… un méchant… C’est juste, lui !… Allons, pioche.

Il se remit à piocher. Au loin, par intervalles, des coups de fusils claquaient.

Pendant ce temps, un officier d’ordonnance était arrivé, bride abattue, dans la batterie. Il descendit de cheval et s’entretint quelques minutes avec le capitaine, qui, peu à peu, s’animant et faisant des gestes colères, enfourcha soudain son cheval blanc et disparut au galop. C’était un très jeune homme, frêle et joli comme une femme, botté de jaune, ganté de peau de chien, la taille serrée dans un dolman chaudement bordé d’astrakan. Il s’approcha des canons et sembla s’inté-