Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Car enfin, expliqua-t-il à Sébastien, tu dois comprendre qu’un collège comme celui-là donne un trafic certain… Outre la question de convenances, il y a là… saisis-tu bien ?… il y a là un intérêt méconnu… Je pétitionnerai… En attendant, tu pars demain, de Pervenchères, par le train de 10 heures 35… Oui, mon enfant, c’est demain soir, à 10 heures 35, que tu entres vraiment dans la vie. N’oublie pas mes recommandations… Dis-toi bien que tu as un père qui se saigne pour toi aux quatre membres… Ainsi, demain soir, à la gare, je dois te prendre un billet de première classe… Il paraît, je le comprends jusqu’à une certaine mesure, que les Jésuites ne voyagent jamais autrement… ce qui n’empêche pas que ce sont des frais très lourds, très lourds… Je n’ai jamais voyagé en première classe, moi… Et cependant, je suis ton père !

Le lendemain, après une nuit agitée, de très grand matin, M. Roch se leva. Il passa sa redingote de cérémonie, et, chose mémorable, se coiffa de son chapeau de haute forme, un antique chapeau, précieusement gardé au fond d’une armoire, et dont la soie, rebroussée par de maladroits et successifs frottements, était ternie de reflets jaunasses. Ainsi accoutré, il mena son fils à l’église, pour qu’il y entendît la messe ; une messe dite à son intention, et solennellement annoncée, le dimanche d’avant, au prône, par le curé. M. Roch communia. L’office terminé et ses prières dites, il conduisit Sébastien à travers les nefs, les chapelles latérales, le chœur. Sur les dalles, ses pas faisaient un bruit auguste, et ses gestes avaient l’hiératique ampleur des gestes de saints, qui bénissent les foules du fond de leurs niches de pierre.