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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/43

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Rosalie donna à son neveu une pièce de cinq francs, en lui disant d’un ton bourru :

— Tiens ! prends ça !… Tu achèteras de l’esprit avec…

Chez le curé, les adieux furent attendrissants. Sébastien reçut un scapulaire tout neuf et des médailles nouvellement bénites par le pape. Mme Lecautel se montra très affectueuse ; Marguerite, très pâle, eut une crise de nerfs, et pleura. Et, le soir enfin arriva. C’était un soir d’octobre, charmant et doux.

— Allons ! fit M. Roch qui, une dernière fois, éprouva la solidité des cordes qui ficelaient la malle… Allons, il est temps !

Revêtu de ses plus beaux habits, ganté de filoselle, Sébastien s’achemina vers la gare, accompagné par son père. Derrière eux, venait l’apprenti poussant la malle sur une brouette. Malgré l’heure tardive, bien des gens se mirent aux portes pour envoyer à l’enfant un dernier adieu.

— Bon voyage, monsieur Sébastien… Portez-vous bien…

Contrairement à ses habitudes, M. Roch marchait silencieux, ne répondait aux démonstrations populaires que par de courts gestes. Il avait perdu de son assurance, de sa dignité, était ému. L’attitude qu’il prendrait devant le Révérend Père Jésuite, à qui, dans un instant, il allait remettre son fils, le préoccupait aussi. Et il ruminait des idées grandioses, préparait de ronflantes périodes, interrompues par de brusques attendrissements où sa verve oratoire s’embrouillait, défaillait. En traversant le pont, Sébastien vit la rivière toute blanche de lune : là-bas, derrière un massif d’aul-