Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/44

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nes, le déversoir du moulin chantait. Son cœur se noya de tristesse.

Ils entrèrent, dans la gare, en avance d’une demi-heure. Le billet pris, les bagages enregistrés, ils gagnèrent la salle d’attente, s’assirent l’un près de l’autre, sur une banquette, et, sans se parler, ils regardèrent, hébétés et gauches, les affiches jaunes, les réclames enluminées qui bariolaient les murs. M. Roch tenait, dans sa main, la main de Sébastien, la serrait souvent d’une étreinte tremblante. Et Sébastien, qui avait redouté un flux de paroles, un débordement de suprêmes conseils, sut gré à son père de ce silence, de ce tremblement qui lui étaient pénibles et très doux, tout ensemble. Son regret de partir s’en augmenta.

— J’ai mis dans ta malle quatre tablettes de chocolat, dit M. Roch, avec un effort visible… Ménage-les… N’avons-nous rien oublié ? Ta boîte de compas ?… Oui, c’est moi-même qui l’ai emballée… Et tes billes ?… Tes billes aussi, je me rappelle… C’est la mère Cébron, tout au fond, dans un sac de lustrine… ménage-les… elles sont en agate. Enfin, j’ai fait ce que j’ai pu…

Après un silence il soupira :

— C’est incroyable… Je n’aurais pas pensé que ça arriverait, comme cela, si vite !…

Sébastien, frissonnant d’un gros chagrin, se serra davantage contre son père. Il se repentait violemment d’avoir été injuste envers lui. Son âme s’abîmait, se fondait dans le remords et dans la reconnaissance. Il eût voulu lui demander pardon, il eût voulu dire à sa tante Rosalie qu’elle était une méchante femme et qu’il la détestait. Et