Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/46

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était cher. Jamais il n’avait vu son père ainsi. S’il eût osé, il se fût jeté dans ses bras, il l’eût supplié de laisser là le train, le Jésuite, la Bretagne, les fils de princes et de s’en retourner, tous les deux, dans la boutique, où ils seraient très heureux à s’aimer. Lui aussi, il se mettrait en manches de chemise, il aurait un tablier de cotonnade, et il irait chez les clients, compterait les cadenas, pèserait les clous. Quelle joie de revoir la rivière, les images renversées des peupliers, les mouvantes chevelures des roseaux !… Et ses camarades retrouvés !… Et ses promenades avec Marguerite, le jeudi ! Et les champs et les fleurs, et les parties de marelle, sur la grand’place !… Les minutes s’envolèrent douloureuses.

Tandis qu’il rêvait ainsi, deux paysans avec de longues blouses bleues, leurs limousines sur le bras, leurs trognes vineuses à moitié dissimulées par des casquettes à mentonnière, entrèrent dans la salle et reconnurent M. Roch. Ils s’approchèrent de lui. Après les compliments d’usage, désignant Sébastien :

— Et c’est l’héritier, sans doute, demanda l’un d’eux.

— Mais oui, c’est mon fils… Monsieur Sébastien Roch.

— Allons, c’est bien… c’est bien !… Et comme ça, l’on va faire une petite promenade ?

Le quincaillier se redressa, plus digne, et d’un ton péremptoire, scandant ses mots :

— J’accompagne mon fils, qui part pour le collège… pour le collège des Jésuites, à Vannes, le collège Saint-François-Xavier.

— Allons, c’est bien, c’est bien.