Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/45

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tout d’un coup, il pensa à Marguerite qui devait dormir, à cette heure ; il revit Mme  Lecautel, qui, très longue, très maigre, timbrait des lettres, dans son bureau, et cachetait des sacs de cuir… Au dehors, l’omnibus de l’Hôtel Chaumier arriva, pesant, cahotant. Il y eut des colloques, des jurons, des bruits de paquets qu’on décharge. Les chevaux s’ébrouèrent, agitèrent leurs grelots.

— Tu seras à Rennes, demain matin, à cinq heures cinquante-neuf, poursuivit M. Roch… Là, vous aurez des voitures qui vous emmèneront à Vannes… Trente lieues !… Comme c’est loin, tout de même !… Sois bien sage !… Surtout ne te penche pas aux portières. Fais ce que te dira le Révérend Père.

Il consulta sa montre.

— Plus que dix minutes ! Mon Dieu comme le temps passe rapidement ! J’ai mis aussi du pain d’épices dans ta malle, entre tes chaussettes de laine. Ménage-le… ne le donne pas à tout le monde ; tu seras bien heureux, peut-être, à un moment donné, de l’avoir sous la main. Enfin… Et ce Père Jésuite ?… qui sait ?

Il soupira longuement et ne prononça plus un mot, sinon pour demander de temps à autre :

— Et ton billet ?… As-tu ton billet ?… C’est un billet de première classe. Ne le perds pas.

Ou bien :

— Surtout, ne te penche pas aux portières… Un accident est tôt arrivé… Dans mon journal, il y en a tous les jours !…

Sébastien pleurait. Il sentait ce qu’il y avait de tendresse maladroite et vive cachée sous ces phrases banales, décousues, dont le ridicule lui