Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/54

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s’efforça de ne pas les entendre. Le train roulait à toute vitesse. De son coin, où il demeurait immobile, l’enfant regarda, par la glace mi-levée de la portière, le paysage nocturne : une fuite d’ombres, puis, au-dessus, une fuite de ciel, de ciel étoilé d’or qui semblait retourner au pays, emporté par de rapides nostalgies. Longtemps, il s’attacha, rêveur, à la contemplation de ce ciel, que lui dérobaient parfois les épaisses fumées de la machine se dorant au rayonnement de la lampe, et se fondant, tour à tour, dans la nuit. La nuit était charmante ; des blancheurs y flottaient, au ras de la terre, doucement remuées ; sur les masses d’ombre, des reflets de peluches argentées se posaient ; et les champs prenaient des aspects de lacs endormis, de forêts noyées, de jardins dont les fleurs se vaporisent ; les coteaux s’érigeaient en villes confuses, infinies, hérissées de tours, de clochetons, de flèches, en villes barbares, en villes magiques, reculées jusqu’aux confins de l’espace et du rêve, par la métamorphose incessante des brumes.

Peu à peu, le calme se rétablit dans le wagon, les figures fatiguées s’ensommeillèrent ; et le Père, ayant déclaré qu’il était temps de dormir, récita une courte oraison, et baissa le store sur la lampe. Tous se tassèrent sous leurs couvertures, cherchant une position commode, au détriment du voisin. Le silence qui l’entourait, la demi-obscurité surtout, qui le baignait d’un mystère, où les visages n’apparaissaient plus que comme des frissons de lumière, tremblotant sur des taches de violentes ténèbres, enhardirent Sébastien. Heureux de n’avoir plus, braquée sur lui, l’ironique curiosité de tant de regards étrangers, il osa s’en-