Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/55

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foncer davantage sur les coussins, étira ses membres engourdis, et, calant sa tête dans l’angle capitonné de l’accoudoir, il croisa les pans de sa redingote sur ses genoux, et ferma les yeux. Alors, au roulis orchestral du wagon, qui le berçait délicieusement, qui lui mettait dans l’oreille des musiques, des airs de chansons inconnues, des rythmes de danses oubliées, il sentit descendre en son être une grande douceur, presque une joie de vivre et d’être emporté ! La gêne, la crainte, la souffrance, tout cela s’évanouit, comme s’étaient évanouis les tourbillons de vapeur, s’interposant entre le ciel et lui. Il écouta, aussi, avec confiance, le bruit clair, le joli et léger tintement métallique d’un chapelet, dont les grains, durant une heure, se déroulèrent sous les doigts du prêtre. À mesure que chaque tour de roue l’éloignait davantage des choses regrettées, sans un déchirement intérieur, avec une mélancolie résignée et bienfaisante, il revoyait, en un rêve attendri, la petite rue de Pervenchères, les bonnes gens sur leurs portes, saluant son départ, la gare et ses jaunes affiches ; son père qui le tenait tendrement par la main, et le Jésuite, disant dans un sourire : « Quel charmant enfant, Monsieur !… Et comme nous l’aimerons ! » Sur cette vision consolante d’une multitude de maîtres, ingénieux à l’aimer, il s’endormit profondément.

Il ne se réveilla qu’à Rennes, où l’on quittait le train. À peine si l’aube froide teintait d’une pâleur rosée la voûte vitrée de la gare. L’arc immense qui la termine s’ouvrait sur un ciel morne, brouillé de brumes jaunes, crasseuses ; dans les brumes s’enfonçait un paysage de toits noirs, de murs couleur