Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/66

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Il se souvint des recommandations de son père. Pour convaincre le troublant Guy de Kerdaniel de son droit à vivre, près de lui, à respirer le même air, manger le même pain, apprendre les mêmes choses que lui, il tenta de raconter l’église, les chapiteaux, l’illustre ancêtre Jean Roch, l’âne, leur mort à tous les deux, dans les rues, à coups de bâton. La phrase qu’il fallait ne lui vint pas. Il ne savait par où commencer, par l’âne, ou par l’église. Et, bégayant, plus fort, et croyant résumer cette magnifique histoire dans un seul cri, il répéta :

— Puisque j’suis d’Pervenchères !… Na !…

Ce correctif plaisant parut ne pas impressionner beaucoup Guy de Kerdaniel qui, lui aussi, examinait Sébastien, des pieds à la tête, dédaigneusement. Étonné, scandalisé même de se trouver en présence de quelqu’un qui, n’étant pas tout à fait un paysan, n’était pas, non plus, un noble, de si mince noblesse que ce fût, l’aristocrate gamin ne pensait pas à rire. Il était devenu sérieux comme un juge : des plis durs rayaient son front. Ce fait anormal le choquait, autant qu’il dérangeait ses notions héréditaires sur l’organisation des hiérarchies humaines, et le bon ordre des contacts sociaux. Devait-il hausser les épaules et s’en aller, ou bien administrer une paire de gifles à ce minuscule insecte, qui avouait n’être pas noble et s’appeler de ce nom barbare : Sébastien Roch ?… De ce nom cynique : Sébastien Roch ?… Sébastien Roch !… Certes, rien que cela valait une gifle. Il hésita, quelques secondes, la main levée. Finalement, pris d’un suprême dégoût où s’affirmait mieux que dans la violence