Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/67

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l’inflexible antagonisme des castes, il se contenta de demander :

— Alors !… qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je ne sais pas, gémit-il.

Guy s’impatienta, frappa la terre du pied.

— Enfin, ton père, qu’est-ce qu’il fait, ton père ?

— Papa ?… articula Sébastien.

Mais il s’arrêta, de nouveau décontenancé.

Au choc de cette interrogation, il venait d’entendre distinctement la porte d’un monde se refermer sur lui. Une poussée brutale le rejetait hors d’une vie qui n’était point la sienne, et où il n’avait pas, anonyme et chétif avorton, le droit de pénétrer. Maintenant, il ne doutait plus que si manquer de noblesse était une impardonnable faute, faire quelque chose équivalait à une infamie, dont rien ne pouvait vous laver. Il admira Guy de Kerdaniel autant qu’il l’envia et le détesta. « Qu’est-ce qu’il fait ton père ? » Et voilà que la nécessité de répondre à cette question lui causait subitement une gêne insurmontable, une angoisse plus vive que toutes celles jusqu’alors souffertes. Sébastien éprouva contre son père et contre lui-même un sentiment affreusement pénible, qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais connu. Ce n’était pas de la colère ; c’était plus que de la pitié, presque de la honte, cette espèce de honte, basse et lâche, qui s’attache à l’idée de la difformité physique. Avec une précision où s’accentuaient toutes les infériorités sociales, il revit son père, en manches de chemise, les reins serrés par le tablier de cotonnade grise, fureter dans une boutique, encombrée d’objets vulgaires, et très laid, de ses