Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/76

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son échoppe. Sébastien avait demandé pourquoi on ne le revoyait plus, pourquoi sa maison restait silencieuse et fermée. On lui avait répondu qu’il était mort. En son esprit inviolé d’enfant, la mort ne correspondait à rien de précis ni de terrible. Sa mère aussi était morte, et il ne la concevait pas autrement que morte, c’est-à-dire absente et heureuse. Quelquefois, il avait contemplé sa photographie dans la salle à manger. En regardant son visage tranquille, un peu effacé par le temps, sa taille frêle, sa robe à fleurs, ses cheveux roulés en repentirs ; et derrière cette jolie personne, des balustres, des fuites pâlies d’étang, de bois, de montagnes, il s’était dit : « Elle est morte », sans une secousse au cœur, sans un regret de ne pas l’avoir connue, tant il pensait que cela devait être ainsi. Il était même content de la voir en un paysage si calme, si doux, qui était, sans doute, le paradis où vont les morts charmants. Vivre ! Mourir ! Mots vagues, sans représentations matérielles, énigmes auxquelles ne s’était pas arrêtée son enfance, vierge de douleurs. Maintenant, il comprenait. Une heure soufferte au contact de la vie avait suffi pour lui révéler la mort. La mort, c’était quand on ne se plaisait pas quelque part, quand on était trop malheureux, quand personne ne vous aimait plus ! La mort, c’étaient ces espaces tranquilles, avec ces balustres drapés d’étoffes et fleuris de roses ! « Hé ! Mayeux ! » À ce cri, un autre cri se mêlait : « Quincaillier, hou ! hou ! » Et les deux cris se confondaient poussés par l’aboyante meute des méchants. C’était la mort ! Il enviait François Pinchard, il enviait sa mère, il enviait tous les morts inconnus. Puisque tous ces morts