Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/77

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étaient morts, il pouvait bien mourir, lui aussi. Et, doucement, sans luttes intérieures, ni révoltes physiques, sans un déchirement de son petit être, l’idée de la mort descendait en lui, endormante et berceuse.

Sébastien quitta son arbre, longea la barrière, ne s’occupant plus des élèves, lesquels, repris par d’autres distractions, semblaient l’avoir complètement oublié. Il était apaisé. Une légèreté gagnait ses muscles plus souples : son cerveau s’allégeait, baigné d’ondes fluides et de vapeurs grisantes. Ainsi qu’à l’approche d’un bon sommeil, après une journée de fatigues, il ressentait quelque chose d’inexprimablement doux, quelque chose comme l’éparpillement moléculaire, comme la volatilisation de tout son être, de tout son être sensible et pensant… Mais comment se tuerait-il ?… L’idée de la mort brutale, de la mort horrible, avec du sang, des membres rompus, des chairs béantes, de la cervelle étalée, ne lui vint pas. Il concevait la mort comme une aérienne envolée vers les espaces supérieurs ou comme une lente descente, un glissement giratoire et candide dans des gouffres de lumière… Le jeune Père, il se le rappelait, avait parlé d’une pièce d’eau… Où était-elle, cette pièce d’eau ?… Il regarda et ne vit que des cours en rumeur. En face, le collège dardait sur lui l’éclair oblique, farouche, multiplié de ses yeux haineux… À droite du collège, se devinait un vaste espace, ceinturé de cimes de sapins très sombres, qui moutonnaient durement dans le ciel.

— C’est peut-être par là, se dit-il, imaginant déjà une immense surface rose, où des joncs flexibles, des roseaux chanteurs traçaient des rou-