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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/84

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Et l’on avait ricané de son embarras. Sébastien se rendit compte qu’il venait encore de donner une preuve nouvelle de son infériorité. Mais comment faire ? On riait de son silence ; et, lorsqu’il parlait, on le huait. « C’est peut-être des surnoms de Jésuites ! » se dit-il. Longtemps, il garda au comte de Chambord et à l’Usurpateur une rancune de les ignorer ; et, convaincu que cela devait être ainsi, que cela serait toujours ainsi, il n’osa pas se renseigner, dans la crainte d’une mystification. D’ailleurs, à qui se fût-il adressé ?

Les collèges sont des univers en petit. Ils renferment, réduits à leur expression d’enfance, les mêmes dominations, les mêmes écrasements que les sociétés les plus despotiquement organisées. Une injustice pareille, une semblable lâcheté président au choix des idoles qu’ils élèvent et des martyrs qu’ils torturent. Tout ignorant qu’il fût des conflits d’intérêts, des rivalités d’appétits, immanentes, qui font s’entredéchirer les mêlées humaines, Sébastien, à force de voir et de comparer, ne tarda pas à déterminer l’exacte situation qu’il occupait en ce milieu, agité par des passions, troublé par des chocs, jusque-là insoupçonnés et décourageants. Sa situation était celle d’un vaincu, d’un vaincu qui n’a même pas, pour se réconforter de sa défaite, le souvenir d’une lutte, ou l’espoir d’une vengeance. La lutte lui était odieuse ; la vengeance, il n’y songea pas un seul instant. Il comprit qu’il ne devait compter que sur lui-même, ne vivre qu’en lui-même d’une vie solitaire, indépendante et fermée aux sollicitations ambiantes. Mais il comprit aussi que ce renoncement était au-dessus de ses forces.