Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/87

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mission, ni de s’imposer à lui par l’éclat d’une révolte. Il le dédaigna, et ce dédain, surélevant sa pitié, il chérit davantage ses petits amis de là-bas, les mal peignés, les mal torchés, ceux-là surtout, effarés et miséreux, dont les blouses en loques, et les tristes pantalons rapiécés, l’émurent aux larmes, douloureusement. Il se tint aussi à l’écart des maîtres, ne quêta pas leurs bonnes grâces, ne chercha point à provoquer leur tendresse. Il lui semblait que la douceur fuyante de leurs manières reculait encore, au lieu de la rapprocher, l’humiliante distance, de jour en jour plus grande, mise par les élèves entre eux et lui. Leurs « mon enfant », prononcés d’une voix pateline, sonnaient faux à son cœur. Auprès d’eux, il n’éprouva aucune impression d’être protégé. On le délaissait dans la classe, où ses professeurs lui faisaient réciter mécaniquement ses leçons, l’interrompant, chaque fois, d’un « c’est bien », bref et sec, sans jamais une parole d’encouragement ou de blâme, sans un redressement de mémoire, alors qu’ils s’appliquaient à éveiller l’intelligence des autres, à la guider dans ses voies préférées, à l’exciter par des explications patientes ; on le délaissait dans la cour, où personne ne le conviait à prendre sa part des plaisirs, des activités bruyantes, dont les Pères, la soutane retroussée, ardents, souples, enfantins, menaient le branle joyeux, et où il errait, le plus souvent tout seul, désemparé, blessé par ces joies, révolté par ces rires qui éclataient, autour de lui, comme pour mieux le railler de son abandon. Et puis, il eût fallu posséder des accessoires comme ils en avaient tous, un roulement de jouets très chers, que les Jésuites vendaient dans un petit