Page:Mirbeau - Sur la route, paru dans l’Écho de Paris, 23 janvier 1891.djvu/4

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Premier ramoneur

Pourquoi ne passe-t-il pas de voiture ?… S’il passait une voiture… nous appellerions…

Deuxième ramoneur

Tu sais bien que les voitures ne s’arrêtent pas… Elles ont trop froid… Écoute !… (Il tend l’oreille.)

Premier ramoneur

Quoi ?

Deuxième ramoneur

Écoute, donc !

Premier ramoneur

Dis quoi ?… Est-ce la ville ?…

Deuxième ramoneur

Écoute donc !… J’entends une voiture… Il me semble que c’est une voiture… là-bas… (On entend, en effet, un bruit vague, lointain, et qui cesse, peu à peu)… Tu n’entends pas ?

Premier ramoneur

Non, je n’entends pas… J’entends des canards qui passent, dans l’air, au-dessus de nous… j’entends le vent… et mon cœur qui bat et mes oreilles qui bourdonnent !…

Deuxième ramoneur

Écoute… écoute encore… (Il tend l’oreille, de nouveau. Le vent lui-même s’est tu… Dans le silence morne, c’est, très haut, comme un froissement, à peine perceptible, d’ailes fuyantes, le vol d’invisibles oiseaux de passage)… Non ce n’est pas une voiture… Ce n’est rien…

Premier ramoneur

Ce n’est rien.