Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/30

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Je ne suis pas jalouse, non plus… Comment le serais-je ?… Avec ta nature de vieux passionné, j’admets… j’accepte que tu cherches, en dehors de mon lit, des plaisirs que je ne peux plus te donner… Tu vois que je suis raisonnable… que je fais la part de tout… de mes déchéances… et de tes besoins… Mais, prends garde… Tu as des ennemis, d’autant plus redoutables qu’ils masquent leur haine d’un respect hypocrite et d’une fausse soumission. On te craint, soit… Mais on te déteste plus qu’on te craint… On te déteste parce que tu es dur au monde, despotique et tracassier, implacable dans ce que tu appelles tes droits de propriétaire… Et le jour où l’on ne te craindra plus ?… Et s’il t’arrivait… demain… un malheur ?… Y as-tu songé ?… L’on jase, déjà, autour de nous…

Le mari

Ah ! je voudrais bien savoir qui se permet, ici, de jaser sur mon compte.

La Femme

Et puis après ?… Que ferais-tu ?… (Un silence. Ils se regardent avec fixité.) Tu vois que tu n’es pas si tranquille…

Le mari, bravant toujours, mais d’une voix moins assurée.

Oh !

La Femme

Viens ici… (Il se lève. Elle lui prend le bras.)… André ! (Plus bas.)… André… Cette gamine de pêcheur que l’on voit rôder à tous les carrefours… mendier à toutes les portes… traîner à toutes les ordures du ruisseau, comme une chienne sans maître… oui, cette petite horreur, avec sa bouche impudente… ses yeux de voleuse… son corps de bête… ose prétendre que ce