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folie, dans mon impatience, semblable à la mienne.

Ils traversent l’avenue des Champs-Élysées. Une auto sombre et souple contourne le refuge. Une femme parée rit sous une aigrette, à côté d’un homme monocle qui se penche.

Daniel se sent dans un rêve. Jamais il n’a entendu de paroles si folles dans un endroit qu’il connaisse autant. Il en appelle le témoignage des vitrines de la rue Pierre-Charron, mais sous leur rideau de fer, elles ne lui offrent soudain qu’une façade muette, bardée d’obscurité, défensive, comme un canon. Si bien que dans ce Paris nocturne, où les maisons conspirent et peut-être bougent à la faveur du sommeil humain, il est comme une barque sans amarre qu’un vent nouveau porte au milieu de la mer. Il ne reconnaît plus rien, mais pour s’étourdir il parle, adoptant à son tour le style exalté de cette femme qui joue à ses côtés, probablement, la comédie de bien des soirs, chaque fois qu’elle veut troubler et séduire un inconnu qu’elle croit à la mesure du mensonge.

Daniel s’enfonce. Ce qu’elle évoque il croit toujours l’avoir été, et cette ressemblance impossible dont elle parle lui apparaît soudain plus indiscutable et plus marquée que celle qu’il possède, par exemple, avec sa mère. Certes, c’est maintenant l’esprit de cette femme, et non celui des siens, qui anime les traits mobiles et encore bien enfantins de son visage. Les jeux d’autrefois, les souvenirs ne sont plus rien, il s’éveille et, reniant tout, se met en route avec un être dont il est, croit-il, le partenaire prédestiné.

Ils sont devant la porte cochère de la maison qu’elle habite :

— « Montez un instant, dit-elle, vous fumerez une dernière cigarette avant de rentrer. Vous avez bien le temps. »