Page:Mireille Havet Carnaval 1922.djvu/56

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Daniel ne sentit pas immédiatement tout son malheur. Il était en colère et ahuri, il laissa la lettre sur la table et continua sa toilette.

Puis, croyant encore que le mépris est le meilleur châtiment des coupables, même quand ceux-là ne s’en soucient pas et vivent voluptueusement à Venise, il sortit sans la relire.

Dehors, le soleil brillait et, la saison battant son plein, des couples élégants se promenaient, de blanc vêtus, sous les ombrages du parc.

Daniel monta faire la cure d’air, sur la petite montagne de sapins et ce fut la meilleure journée de son séjour, la première où, cessant volontairement de songer à son amour, et n’ayant plus l’obsession de lui écrire, il est un peu rendu à lui-même.

Opéré, il ne sent pas encore sa blessure, car elle est si terrible qu’elle l’abrutit totalement. Il ne songe à rien, étendu au soleil, l’orchestre monotone joue des valses.

C’est l’armistice en lui — une paix imprévue dans une douleur torride.

Le malade engoncé d’hypnose ne sait pas encore qu’il est infirme.

Au crépuscule, il rentre, s’habille pour le dîner, regarde les femmes pour la première fois, et les trouve jolies. Car Germaine étant morte en lui, il ne les lui compare plus.

Le monde reprend son vrai visage.

À minuit, toujours insensible et ayant gagné au jeu, il remonte dans sa chambre.

La première chose qu’il voit, sur la table remise en ordre par le valet de chambre, c’est la lettre chiffonnée.

Elle est au milieu, comme un bateau de papier, elle navigue. Alors, sachant qu’il sera seul jusqu’au lendemain, qu’il n’a plus besoin de mentir, ni de surveiller ses attitudes, qu’il sera seul et que la lettre unique qu’il attendait est là, que