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REVUE DU MONDE MUSULMAN

idées européennes : vous serez surtout frappé de l’opposition apparente qui subsiste entre les croyances attardées de la foule et les espérances de l’élite.

Que deviennent, hors des textes, les hérédités Fatimites et Ismaéliennes ? En reste-t-il plus qu’une tradition illustre et profitable ? De quel poids pèse le groupement d’une vingtaine, ou même d’une cinquantaine de journaux musulmans actifs et d’une centaine d’associations pieuses, savantes ou politiques, avec quelques milliers de Princes et de commerçants, de gentlemen et de Moulévis au regard de cette masse de 60 à 70 millions de Croyants ? Agitation de surface, sans profondeur, limitée à la classe de contact entre la civilisation musulmane et la civilisation britannique ? Aspirations bornées à la conquête des emplois et des places ? Projets d’organisation qui, comme tant d’autres, n’ont chance d’aboutir qu’au désordre ?

Sans doute, des précédents justifient ces opinions indifférentes et dédaigneuses. Ne sont-elles pas fort répandues, même aux Indes[1] ? Et cependant il reste judicieux d’attendre les événements pour s’en faire une idée positive. Il ne faut pas oublier que Syed Ahmed a dû patienter dix ans pour imposer son œuvre aux sceptiques.

Elle semble aujourd’hui définitivement prise en mains par l’Aga Khan : ancien élève du Collège des Princes, si européannisé qu’« on ne saurait le distinguer d’un Anglais quand il porte le costume, européen[2] » — et en même temps maître, par ses Pirs et ses Daî, de la forte organisation qu’a sanctionnée naguère la cour de Bombay. Le discours de Delhi et l’interview du vieux musulman de Calcutta n’en accentuent pas moins la doctrine de Sir Syed Ahmed. Elle a fait un tel pas qu’il devient inutile de chercher l’Inde musulmane de demain dans celle d’hier, puisque

  1. Piriou, loc. cit., p. 249.
  2. Daily-Graphic, 5 mai 1906.