Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/106

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Le Barbouillé

Hé bien, monsieur le docteur…

Le docteur

4° Parceque la philosophie a quatre parties, la logique, la morale, la physique, et la métaphysique ; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaitement versé en icelles, je suis quatre fois docteur.

Le Barbouillé

Que diable, je n’en doute pas. Écoutez-moi donc.

Le docteur

5° Parcequ’il y a cinq universaux, le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident, sans la connoissance desquels il est impossible de faire aucun bon raisonnement ; et, comme je m’en sers avec avantage, et que j’en connois l’utilité, je suis cinq fois docteur.

Le Barbouillé

Il faut que j’aie bonne patience.

Le docteur

6° Parceque le nombre de six est le nombre du travail ; et, comme je travaille incessamment pour ma gloire, je suis six fois docteur.

Le Barbouillé

Ho ! Parle tant que tu voudras.

Le docteur

7° Parceque le nombre de sept est le nombre de la félicité ; et, comme je possède une parfaite connoissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même : O ter quaterque beatum ! 8° Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à cause de l’égalité qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec lesquelles je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docteur. 9° Parcequ’il y a neuf Muses, et que je suis également chéri d’elles. 10° Parceque, comme on ne peut passer le nombre de dix sans faire une répétition des autres nombres, et qu’il est le nombre universel ; aussi, quand on m’a trouvé, on a trouvé le docteur universel ; je contiens en moi tous les autres docteurs. Ainsi, tu vois par des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur.