Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/273

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Loin d’assurer une âme, et lui fournir des armes
Contre ce qu’un rival lui veut donner d’alarmes,
L’ingrate m’abandonne à mon jaloux transport,
Et rejette de moi message, écrit, abord !
Ha ! Sans doute, un amour a peu de violence,
Qu’est capable d’éteindre une si foible offense ;
Et ce dépit si prompt à s’armer de rigueur
Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur,
Et de quel prix doit être à présent à mon âme
Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme.
Non, je ne prétends plus demeurer engagé
Pour un cœur où je vois le peu de part que j’ai ;
Et puisque l’on témoigne une froideur extrême
À conserver les gens, je veux faire de même.

Gros-René

Et moi de même aussi : soyons tous deux fâchés,
Et mettons notre amour au rang des vieux péchés.
Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage,
Et lui faire sentir que l’on a du courage.
Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir.
Si nous avions l’esprit de nous faire valoir,
Les femmes n’auroient pas la parole si haute.
Oh ! Qu’elles nous sont bien fières par notre faute !
Je veux être pendu, si nous ne les verrions
Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions,
Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes
Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous sommes.

Éraste

Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend ;
Et pour punir le sien par un autre aussi grand,
Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme.

Gros-René

Et moi, je ne veux plus m’embarrasser de femme :
À toutes je renonce, et crois, en bonne foi,
Que vous feriez fort bien de faire comme moi.
Car, voyez-vous, la femme est, comme on dit, mon maître,
Un certain animal difficile à connoître,
Et de qui la nature est fort encline au mal ;
Et comme un animal est toujours animal,