Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/304

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à l’oreille qu’elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : Quelle heure est-il ? Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire ? et ne m’avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu’elles ont fait ?

Du Croisy

Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur.

La Grange

Sans doute, je l’y prends, et de telle façon, que je veux me venger de cette impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L’air précieux n’a pas seulement infecté Paris, il s’est aussi répandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c’est un ambigu de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu’il faut être pour en être bien reçu ; et si vous m’en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu mieux leur monde.

Du Croisy

Et comment encore ?

La Grange

J’ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit ; car il n’y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C’est un extravagant, qui s’est mis dans la tête de vouloir faire l’homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu’à les appeler brutaux.

Du Croisy

Eh bien ! qu’en prétendez-vous faire ?

La Grange

Ce que j’en prétends faire ? Il faut… Mais sortons d’ici auparavant.



Scène II

Gorgibus[1], du Croisy, La Grange
Gorgibus

Eh bien ! vous avez vu ma nièce et ma fille : les affaires iront-elles bien ? Quel est le résultat de cette visite ?

  1. Gorgibus était le nom d’un emploi de l’ancienne comédie, comme les Pasquins, les Turlupins, les Jods.