Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/389

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Car enfin, peut-il être une âme bien atteinte
Dont l’espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte ?
Et pourriez-vous penser que mon cœur eût aimé,
Si ce billet fatal ne l’eût point alarmé ?
S’il n’avait point frémi des coups de cette foudre
Dont je me figurais tout mon bonheur en poudre ?
Vous-même, dites-moi, si cet événement
N’eût pas dans mon erreur jeté tout autre amant ?
Si d’une preuve, hélas ! qui me semblait si claire,
Je pouvais démentir…

Done Elvire
Je pouvais démentir… Oui, vous le pouviez faire,
Et dans mes sentiments assez bien déclarés
Vos doutes rencontraient des garants assurés ;
Vous n’aviez rien à craindre, et d’autres sur ce gage,
Auraient du monde entier bravé le témoignage.

Dom Garcie
Moins on mérite un bien qu’on nous fait espérer,
Plus notre âme a de peine à pouvoir s’assurer ;
Un sort trop plein de gloire à nos yeux est fragile,
Et nous laisse aux soupçons une pente facile.
Pour moi qui crois si peu mériter vos bontés,
J’ai douté du bonheur de mes témérités ;
J’ai cru que dans ces lieux rangés sous ma puissance
Votre âme se forçait à quelque complaisance ;
Que déguisant pour moi votre sévérité…

Done Elvire
Et je pourrais descendre à cette lâcheté,
Moi prendre le parti d’une honteuse feinte,
Agir par les motifs d’une servile crainte,
Trahir mes sentiments, et pour être en vos mains,
D’un masque de faveur vous couvrir mes dédains ;
La gloire sur mon cœur aurait si peu d’empire,
Vous pouvez le penser, et vous me l’osez dire ?
Apprenez que ce cœur ne sait point s’abaisser,
Qu’il n’est rien sous les cieux qui puisse l’y forcer.
Et s’il vous a fait voir, par une erreur insigne,
Des marques de bonté dont vous n’étiez pas digne ;
Qu’il saura bien montrer malgré votre pouvoir