Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/508

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Et je les vois, marquis, comme tu peux penser,
Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer.
Il se rabat soudain, dont j’eus l’âme ravie  ;
Il empaume la voie  ; et moi, je sonne et crie  :
À Finaut ! À Finaut ! J’en revois[1] à plaisir
Sur une taupinière, et raisonne à loisir.
Quelques chiens revenoient à moi, quand pour disgrâce,
Le jeune cerf, marquis, à mon campagnard passe.
Mon étourdi se met à sonner comme il faut,
Et crie à pleine voix : Tayaut ! Tayaut ! Tayaut !
Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore  ;
J’y pousse, et j’en revois dans le chemin encore  ;
Mais à terre, mon cher, je n’eus pas jeté l’œil,
Que je connus le change et sentis un grand deuil.
J’ai beau lui faire voir toutes les différences
Des pinces de mon cerf et de ses connoissances,
Il me soutient toujours, en chasseur ignorant,
Que c’est le cerf de meute ; et par ce différend
Il donne temps aux chiens d’aller loin. J’en enrage ;
Et pestant de bon cœur contre le personnage,
Je pousse mon cheval et par haut et par bas,
Qui plioit des gaulis[2] aussi gros que les bras  :
Je ramène les chiens à ma première voie,
Qui vont, en me donnant une excessive joie,
Requérir notre cerf, comme s’ils l’eussent vu.
Ils le relancent ; mais ce coup est-il prévu ?
À te dire le vrai, cher marquis, il m’assomme :
Notre cerf relancé va passer à notre homme,
Qui croyant faire un trait de chasseur fort vanté,
D’un pistolet d’arçon qu’il avoit apporté
Lui donne justement au milieu de la tête,
Et de fort loin me crie : Ah ! J’ai mis bas la bête !
A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu !
Pour courre un cerf ? Pour moi, venant dessus le lieu,
J’ai trouvé l’action tellement hors d’usage,
Que j’ai donné des deux à mon cheval, de rage,
Et m’en suis revenu chez moi toujours courant,
Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.

  1. Revoir, retrouver la trace de la bête [Dict. des chasses.]
  2. Gaulis, branches qui embarrassent le chasseur lorsqu'il pénètre dans les taillis. [Idem.]