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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/533

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Chrysalde.

Pour cet article-là, ce que vous m’avez dit
Ne peut…

Arnolphe.

Ne peut…La vérité passe encor mon récit.
Dans ses simplicités à tous coups je l’admire,
Et parfois elle en dit dont je pâme de rire.
L’autre jour (pourrait-on se le persuader ?),
Elle était fort en peine, et me vint demander,
Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfants qu’on fait se faisoient par l’oreille[1].

Chrysalde.

Je me réjouis fort, seigneur Arnolphe…

Arnolphe.

Je me réjouis fort, seigneur Arnolphe…Bon !
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom ?

Chrysalde.

Ah ! malgré que j’en aie, il me vient à la bouche,
Et jamais je ne songe à monsieur de la Souche.
Qui diable vous a fait aussi vous aviser,
À quarante et deux ans, de vous débaptiser,
Et d’un vieux tronc pourri de votre métairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie ?

Arnolphe.

Outre que la maison par ce nom se connoît,
La Souche plus qu’Arnolphe à mes oreilles plaît[2].

Chrysalde.

Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimeres !

  1. Ici Molière se commente lui-même. « Pour ce qui est des enfants par l’oreille, dit-il, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe ; et l’auteur n’a pas mis cela pour être de soi un bon mot, mais seulement pour une chose qui caractérise l’homme, et peint d’autant mieux son extravagance, puisqu’il rapporte une sottise triviale qu’a dit Agnès, comme la chose la plus belle du monde, et qui lui donne une joie inconcevable. » (Molière, Critique de l’Ecole des Femmes, scène vii.)
  2. Cette antipathie d’Arnolphe pour son propre nom s’explique par ce fait que saint Arnolphe, au moyen âge, et traditionnellement encore dans le dix-septième siècle, était regardé comme le patron des maris trompés. Entrer dans la confrérie de saint Arnolphe, devoir un cierge à saint Arnolphe, signifiait, pour un mari, perdre les dernières illusions matrimoniales. Un tel nom devoit donner aux maris ombrageux qui le portaient, des visions cornues, et c’est pour cela qu’Arnolphe trouve des appas à le changer.