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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/532

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Arnolphe.

Je ne vous dis plus mot.Chacun a sa méthode.
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode :
Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi,
Choisir une moitié qui tienne tout de moi,
Et de qui la soumise et pleine dépendance
N’ait à me reprocher aucun bien ni naissance.
Un air doux et posé, parmi d’autres enfants,
M’inspira de l’amour pour elle dès quatre ans :
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée,
De la lui demander il me vint en pensée ;
Et la bonne paysanne, apprenant mon désir,
À s’ôter cette charge eut beaucoup de plaisir.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever selon ma politique ;
C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploieroit
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourroit.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente ;
Et grande, je l’ai vue à tel point innocente,
Que j’ai béni le Ciel d’avoir trouvé mon fait,
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
Je l’ai donc retirée ; et comme ma demeure
À cent sortes de monde est ouverte à toute heure,
Je l’ai mise à l’écart, comme il faut tout prévoir,
Dans cette autre maison où nul ne me vient voir ;
Et pour ne point gâter sa bonté naturelle,
Je n’y tiens que des gens tout aussi simples qu’elle[1].
Vous me direz, Pourquoi cette narration ?
C’est pour vous rendre instruit de ma précaution.
Le résultat de tout est qu’en ami fidèle
Ce soir je vous invite à souper avec elle ;
Je veux que vous puissiez un peu l’examiner,
Et voir si de mon choix on me doit condamner.

Chrysalde.

J’y consens.

Arnolphe.

J’y consens.Vous pourrez, dans cette conférence,
Juger de sa personne et de son innocence.

  1. « Don Pèdre chercha des valets les plus sots qu’il put trouver, et tâcha de trouver des servantes aussi sottes que Laure ; et il eut bien de la peine. » (Scarron, Précaution inutile.)