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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

vant les autres, pendant la tenue des états présidés par le prince de Conti. Ce fut alors que le poëte fit jouer le Dépit amoureux. Cette seconde pièce fut accueillie, comme la première, avec faveur. Le prince de Conti

    qu’elle (madame de Calvimont, maîtresse du prince de Conti) fut logée dans la Grange (château et terre du prince de Conti près de Pézénas), elle proposa d’envoyer chercher des comédiens. Comme j’avais l’argent des menus plaisirs de ce prince, il me donna ce soin. J’appris que la troupe de Molière et de la Béjart était en Languedoc ; je leur mandai qu’ils vinssent à la Grange. Pendant que cette troupe se disposait à venir sur mes ordres, il en arriva une autre à Pézénas, qui était celle de Cormier (directeur d’une troupe comique). L’impatience naturelle de M. le prince de Conti et les présents que fit cette dernière troupe à madame de Calvimont engagèrent à la retenir. Lorsque je voulus représenter à M. le prince de Conti que je m’étais engagé à Molière sur ses ordres, il me répondit qu’il s’était lui-même engagé à la troupe de Cormier, et qu’il était plus juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. Cependant Molière arriva et, ayant demandé qu’on lui payât au moins les frais qu’il avait fait faire pour venir, je ne pus jamais l’obtenir, quoiqu’il y eût beaucoup de justice ; mais M. le prince de Conti avait trouvé bon de s’opiniâtrer à cette bagatelle. Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je résolus de la faire monter sur le théâtre de Pézénas, et de leur donner deux mille écus de mon argent, plutôt que de leur manquer de parole. Comme ils étaient près de jouer à la ville, M. le prince de Conti, un peu piqué d’honneur par ma manière d’agir et pressé par Sarrasin (favori du prince de Conti et son secrétaire des commandements) que j’avais intéressé à me servir, accorda qu’ils tiendraient jouer une fois sur le théâtre de la Grange. Cette troupe ne réussit pas dans sa première représentation au gré de madame de Calvimont, ni par conséquent au gré de M. le prince de Conti, quoique, au jugement de tout le reste des auditeurs, elle surpassât infiniment la troupe de Cormier, soit par la bonté des acteurs, soit par la magnificence des habits. Peu de jours après, ils représentèrent encore, et Sarrasin, à force de prôner leurs louanges, fit avouer à M. le prince de Conti qu’il fallait retenir la troupe de Molière à l’exclusion de celle de Cormier. Il les avait suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi : mais alors, étant devenu amoureux de la du Parc, il songea à se servir lui-même. Il gagna madame de Calvimont, et non-seulement il fit congédier la troupe de Cormier, mais il fit donner pension à celle de Molière. On ne songeait alors qu’à ce divertissement, auquel moi seul je prenais peu de part. »