Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/620

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qui seraient bien fâchés d’être de l’avis des autres, pour avoir la gloire de décider.

Uranie

Il est vrai. Notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu’on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu’on le consulte sur toutes les affaires d’esprit ; et je suis sûre que, si l’auteur lui eût montré sa comédie avant que de la faire voir au public, il l’eût trouvée la plus belle du monde.

Le Marquis

Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable, et dit qu’elle n’a pu jamais souffrir les ordures dont elle est pleine.

Dorante

Je dirai que cela est digne du caractère qu’elle a pris ; et qu’il y a des personnes qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d’honneur. Bien qu’elle ait de l’esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de l’âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu’elles voient qu’elles perdent, et prétendent que les grimaces d’une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l’affaire plus avant qu’aucune ; et l’habileté de son scrupule découvre des saletés, où jamais personne n’en avait vu. On tient qu’il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu’il n’y a point presque de mots dont la sévérité de cette dame ne veuille retrancher ou la tête ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu’elle y trouve.

Uranie

Vous êtes bien fou, chevalier.

Le Marquis

Enfin, chevalier, tu crois défendre ta comédie, en faisant la satire de ceux qui la condamnent.

Dorante

Non pas, mais je tiens que cette dame se scandalise à tort…