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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/75

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lxiii
J.-B. POQUELIN DE MOLIERE.

je ne fais rien en son absence qui m’en puisse divertir. Quand je la vois, une émotion et des transports qu’on peut sentir, mais qu’on ne saurait exprimer, m’ôtent l’usage de la réflexion ; je n’ai plus d’yeux pour ses défauts, il m’en reste seulement pour tout ce qu’elle a d’aimable : n’est-ce pas là le dernier point de la folie ? et n’admirez-vous pas que tout ce que j’ai de raison ne sert qu’à me faire connaître ma faiblesse sans en pouvoir triompher ? — Je vous avoue à mon tour, lui dit son ami, que vous êtes plus à plaindre que je ne pensais ; mais il faut tout espérer du temps. Continuez cependant à faire vos efforts, ils feront leur effet lorsque vous y penserez le moins. Pour moi, je vais faire des vœux afin que vous soyez bientôt content. » Là-dessus il se retira, et laissa Molière, qui rêva encore longtemps aux moyens d’amuser sa douleur.

Rien ne pouvait distraire le poëte de cet ennui profond, ni les amitiés illustres, ni les sympathies sincères et vives de Boileau, de la Fontaine, de Chapelle, du physicien Rohault, du peintre Mignard, ni la constante bienveillance du roi, qui lui donnait sans cesse des preuves de son affection, d’abord en lui accordant une pension de mille livres après la représentation de l’École des femmes, comme pour répondre aux détracteurs de ce chef-d’œuvre, ensuite en fixant, au mois d’août 1665, sa troupe à son service, avec une subvention de sept mille livres et le titre de Troupe du Roi.

Dans les fêtes splendides célébrées à Versailles en 1664, Molière, qui avait contribué à l’éclat de ces fêtes, donna pour la première fois, le 12 mai, les trois premiers actes de Tartuffe. La pièce fut bien accueillie de la cour ; mais bientôt il y eut dans le public, auquel du reste elle n’était connue que par ouï-dire, un tel scandale, que le roi, qui lui-même avait applaudi comme les autres, se trouva fort embarrassé ; et, tout en reconnaissant les bonnes intentions de l’auteur, il défendit pour le public la comédie de Tartuffe. Trois