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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

pourquoi le Malade imaginaire, avec son prologue et ses intermèdes tout préparés, ne fut pas représenté devant le roi. Peut-être, et ce serait assez notre goût malgré la prodigieuse verve de gaieté qui règne dans tout l’ouvrage, trouva-t-on peu d’agrément à cette chambre de malade, à ces médicaments, à ces coliques, à cette mort feinte, dont Molière avait cru tirer un si joyeux parti. Ce qui est sûr, c’est que le régal destiné à la cour fut servi au public, le 10 février 1673, le vendredi avant le dimanche gras. »

Le jour de la quatrième représentation du Malade imaginaire, Molière se sentait plus mal que de coutume. Ses amis le pressaient de ne point paraître dans cette pièce où il remplissait le rôle d’Argan. « Comment voulez-vous que je fasse ? répondit-il. Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n’ont que leur journée pour vivre : que feront-ils, si je ne joue pas Je me reprocherais d’avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. » Le grand poëte, qui se montrait en cette circonstance, comme toujours, un homme de bien, se rendit au théâtre, et joua avec de grands efforts et de vives douleurs. En prononçant le mot juro[1], dans la cérémonie, il fut saisi d’une crise qu’il eut encore la force de déguiser ; mais il était épuisé : on le reporta chez lui, rue Richelieu, dans la maison qui porte aujourd’hui le n° 54, et qui se trouve en face du monument consacré à sa mémoire. Là, il fut pris d’un accès de toux convulsive. Se sentant mortellement frappé, il demanda les secours de la religion, et envoya quérir successivement deux prêtres de la

  1. Le fauteuil qui sert, encore aujourd’hui à la Comédie-Française pour les représentations du Malade imaginaire, et auquel on a donné le nom de fauteuil de Molière, est, selon une tradition conservée dans la famille qui, depuis ce grand homme jusqu’à nos jours, a fourni sans interruption des concierges au théâtre, celui-là même dans lequel il s’est assis le jour de sa mort, en remplissant le rôle d’Argan.