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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/91

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J.-B. POQUELIN DE MOLIERE.

l’aristocratie la plus haute et la plus populaire à la fois, celle de l’intelligence, du courage et du talent, reçut Molière dans son intimité.

Pour répondre aux calomniateurs du poëte qui l’accusaient d’avoir épousé sa propre fille, le roi, nous l’avons vu, tenait sur les fonts de baptême son premier enfant. Pour répondre aux dédains de la noblesse qui prenait parti dans la querelle des marquis, le roi lui donnait les petites entrées, le faisait asseoir à sa table, et disait aux courtisans devenus jaloux de l’homme qu’ils venaient de mépriser : « Vous me voyez occupé de faire manger Molière, que mes officiers ne trouvent pas d’assez bonne compagnie pour eux. » « Aujourd’hui, dit avec raison M. Nisard[1], nous trouvons cela tout naturel, tant le génie de Molière nous paraît au-dessus de cet honneur. Mais à cette époque, la faveur en était si extraordinaire et si inouïe, que pour faire asseoir à ses côtés son valet de chambre, un comédien, et faire cette violence à l’opinion, non des sots, mais des personnes judicieuses de la cour, il fallait que Louis XIV eût de Molière l’idée que nous en avons, et qu’il eût deviné par instinct une grandeur dont on ne lui avait point parlé dans un temps où l’on ne reconnaissait que celle de Dieu et celle du roi. » On a dit, il est vrai, que Louis XIV n’aimait Molière que par égoïsme et pour le plaisir d’en être flatté. « Mais, répond justement M. Génin, si la vanité du monarque eût seule inspiré son affection, on l’eût vu en montrer une pareille à Lulli, à Racine, à tant d’autres, plus empressés courtisans que Molière ; et il est certain que de tous les grands hommes de ce règne, aucun ne posséda au même degré que Molière l’amitié de Louis XIV. Ne cherchons pas à rabaisser, par une interprétation malveillante, le prix d’un noble sentiment : Louis XIV aimait Molière en vertu de cette sympathie qui rapproche invinciblement les grandes

  1. Histoire de la littérature française, t. II, p. 429.