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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/92

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

ânes. Le roi s’est honoré en protégeant le poëte ; aujourd’hui qu’ils sont entrés l’un et l’autre dans la postérité, les rôles sont intervertis, et c’est la mémoire du grand poëte qui protège à son tour la mémoire du grand roi. »

Après avoir reproché au prince de s’être montré bienveillant par calcul, on reproche à l’écrivain de s’être montré courtisan à l’excès ; mais n’oublions pas que si Tartuffe a vu le jour, nous le devons uniquement à Louis XIV ; que ce prince a soutenu Molière contre la faculté, les cabales des ruelles, la colère des marquis, les anathèmes des jansénistes et des jésuites, car le poëte, en ouvrant sa main pleine de vérités, avait ameuté contre lui la susceptibilité de quelques consciences sévères, l’hypocrisie de toutes les consciences tarées, la sottise de tous les pédants, la rancune de toutes les prudes ; et certes, si l’on veut faire un crime au grand comique d’avoir payé de quelques compliments, d’ailleurs mérités, la constante protection du maître et sa bienveillance inaltérable, autant vaut lui reprocher de s’être montré reconnaissant envers son soutien le plus fidèle, on pourrait même dire le plus dévoué, et déclarer sans détours que l’ingratitude envers les princes doit être comptée au nombre des vertus civiques.

IV

Comme Shakespeare et Cervantes, Molière appartient à cette race de penseurs et de poëtes qui créent dans le domaine de la fantaisie un monde réel, qui font des types vivants avec les personnages qu’ils inventent, des types qui ne meurent jamais, et qui sont connus de tous les peuples, qu’ils s’appellent Falstaff, don Quichotte, Sancho, Tartuffe, Alceste, ou Harpagon. Comme ces sorciers du moyen âge qui faisaient apparaître dans un miroir magique l’image de la création, Molière a évoqué l’homme du dix-septième siècle et les hommes