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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/95

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

Dans Pourceaugnac, Molière a donné la plus ébouriffante des farces ; dans le Misanthrope, la plus profonde des comédies ; dans Don Juan, le plus beau de nos drames romantiques. Il a de la sorte parcouru tous les degrés de l’art, et il est resté partout sans rival.

Louis XIV demandait un jour à Boileau quel était le plus grand des écrivains qui honoraient son règne. Boileau répondit : « Sire, c’est Molière[1] » et ces simples mots étaient l’arrêt de la postérité. Bussy-Rabutin, comme Boileau, devinait l’avenir, lorsqu’il écrivait peu de jours après la perte du grand poëte : « Voilà Molière mort en un moment ; j’en suis fâché : de nos jours nous ne verrons personne prendre sa place, et peut-être le siècle suivant n’en verra-t-il pas un de sa façon. » Deux siècles sont passés, dit avec raison M. Bazin, et nous attendons encore.

Charles Louandre.
  1. Le grand satirique ne se contentait pas de louer Molière devant le roi ; il s’honorait aussi en le louant devant le public. En 1664, il lui adressait l’une de ses plus ingénieuses satires, la deuxième :

    Rare et fameux esprit, dont la facile veine
    Ignore, en écrivant, le travail et la peine,
    Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
    Et qui sait à quel coin se marquent les lons vers,
    Dans les combats d’esprit savant maître d’escrime,
    Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.
    On dirait, quand tu veux, qu’elle te vient chercher ;
    Jamais au bout du vers on ne te voit broncher ;
    Et, sans qu’un long détour t’arrête ou t’embarrasse
    À peine as-tu parlé, qu’elle-même s’y place.

    L’opinion de Boileau fut, sauf de très-rares et insigniflantes exceptions, celle de ses contemporains.