Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les hommes comme ils sont. Ces premiers types des principaux caractères du Misanthrope se retrouvent ici tels que Molière les dessina dans l’Impromptu de Versailles ; car il avait préparé son chef-d’œuvre en le crayonnant comme un peintre prépare un grand tableau par des esquisses. »

Ici encore, on le voit, les critiques et les commentateurs sont à l’affût des moindres circonstances. À quelque point de vue qu’ils se placent, à Versailles ou dans la maison même de Molière, ils se trompent sans doute dans un grand nombre de leurs suppositions. — Et comment ne pas se tromper, quand on en est réduit aux conjectures ? — Mais cette curiosité si vivement éveillée, sur ce que nous appellerons le côté réel et vivant de la pièce, n’en est pas moins l’hommage le plus éclatant qui ait été rendu au génie du poète. Ne fallait il pas, en effet, une bien grande puissance d’observation, un talent profondément humain, pour que les réalités vinssent de la sorte se placer sans cesse à côté des fictions, pour que le public qui écoute, et le critique qui annote, en suivant le développement des caractères, aient pris ces caractères pour de véritables signalements, et traduit les noms de théâtre par des noms connus de tout le monde ?

Le Misanthrope, que l’Europe, suivant la juste remarque de Voltaire, regarde comme le chef-d’œuvre du vrai comique, n’en a pas moins essuyé quelques critiques violentes. La plus célèbre est celle de Rousseau, et pour en faire connaître le véritable sens, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici cette piquante appréciation de M. Génin : « J. J. Rousseau, dans sa Lettre à d’Alembert. veut établir que le théâtre corrompt les mœurs. Prenons, dit-il, la meilleure de toutes les comédies, la plus morale ; je vous prouverai qu’elle attaque la vertu, et il s’ensuivra à fortiori que toutes les autres sont également ou plus dangereuses, corruptrices et perverses. Il choisit pour cette expérience le Misanthrope… Cette pièce lui fournit l’occasion d’entretenir le public de lui-même. Il s’identifie avec Alceste, et peu s’en faut qu’il ne regarde la pièce de Molière comme une personnalité contre Jean-Jacques. Sa longue argumentation n’est qu’un tissu de sophismes, de contradictions et de puérilités. Molière a composé le Misanthrope « pour faire rire aux dépens de la vertu, — pour avilir la vertu ; » et cette intention, Molière ne l’a pas eue seulement dans le Misanthrope, mais le Misanthrope « nous découvre la véritable vue dans laquelle Molière a composé tout son théâtre. » — « On ne peut nier, dit-il, que le théâtre de Molière ne soit une école de vices et de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner. » Peut-être, en écrivant ces dernières paroles, la pensée de Rousseau se reportait à la Nou-