Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/231

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C’est une trahison, c’est une perfidie,
Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments ;
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Oui, oui, redoutez tout après un tel outrage :
1310Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage.
Percé du coup mortel dont vous m’assassinez,
Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés ;
Je cède aux mouvements d’une juste colère,
Et je ne réponds pas de ce que je puis faire.

Célimène
1315D’où vient donc, je vous prie, un tel emportement ?

Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement ?

Alceste
Oui, oui, je l’ai perdu, lorsque dans votre vue

J’ai pris, pour mon malheur, le poison qui me tue,
Et que j’ai cru trouver quelque sincérité
1320Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.

Célimène
De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre ?


Alceste
Ah ! que ce cœur est double, et sait bien l’art de feindre !

Mais, pour le mettre à bout, j’ai des moyens tout prêts.
Jetez ici les yeux, et connaissez vos traits ;
1325Ce billet découvert suffit pour vous confondre,
Et contre ce témoin on n’a rien à répondre.

Célimène
Voilà donc le sujet qui vous trouble l’esprit !


Alceste
Vous ne rougissez pas en voyant cet écrit !


Célimène
Et par quelle raison faut-il que j’en rougisse ?


Alceste
1330Quoi ! vous joignez ici l’audace à l’artifice !

Le désavouerez-vous pour n’avoir point de seing ?

Célimène
Pourquoi désavouer un billet de ma main[1] ?
  1. Si l’on s’en rapporte au pamphlet intitulé la Fameuse Comédienne, ou Histoire des intrigues amoureuses de Molière, le poète n’aurait fait que transporter ici une scène de son intérieur. Un abbé de Richelieu avait, pour se venger, fait tenir à Molière un billet écrit par sa femme au comte de Guiche. Molière, qui tenait en main les preuves de l’infidélité, eut une explication à la suite de