Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/410

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Dorine
Mais quoi ! si votre père est un bourru fieffé,

Qui s’est de son Tartuffe entièrement coiffé
Et manque à l’union qu’il avait arrêtée,
630La faute à votre amant doit-elle être imputée ?

Mariane
Mais, par un haut refus, et d’éclatants mépris,

Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris ?
Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,
De la pudeur du sexe et du devoir de fille ?
635Et veux-tu que mes feux par le monde étalés… ?

Dorine
Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez

Être à Monsieur Tartuffe, et j’aurais, quand j’y pense,
Tort de vous détourner d’une telle alliance.
Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ?
640Le parti de soi-même est fort avantageux.
Monsieur Tartuffe ! oh ! oh ! n’est-ce rien qu’on propose ?
Certes, monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose,
N’est pas un homme, non, qui se mouche du pied ;
Et ce n’est pas peu d’heur que d’être sa moitié,
645Tout le monde déjà de gloire le couronne ;
Il est noble chez lui, bien fait de sa personne ;
Il a l’oreille rouge et le teint bien fleuri :
Vous vivrez trop contente avec un tel mari.

Mariane
Mon Dieu !…


Dorine
Mon Dieu !… Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme,

650Quand d’un époux si beau vous vous verrez la femme !

Mariane
Ah ! cesse, je te prie, un semblable discours ;

Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.
C’en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire.

Dorine
Non, il faut qu’une fille obéisse à son père,

655Voulût-il lui donner un singe pour époux.
Votre sort est fort beau : de quoi vous plaignez-vous ?
Vous irez par le coche en sa petite ville,
Qu’en oncles et cousins vous trouverez fertile,
Et vous vous plairez fort à les entretenir.