Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/420

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On n’exécute pas tout ce qui se propose ;
830Et le chemin est long du projet à la chose.

Damis
Il faut que de ce fat j’arrête les complots,

Et qu’à l’oreille un peu je lui dise deux mots.

Dorine
Ah ! tout doux ! envers lui, comme envers votre père,

Laissez agir les soins de votre belle-mère.
835Sur l’esprit de Tartuffe elle a quelque crédit,
Il se rend complaisant à tout ce qu’elle dit,
Et pourrait bien avoir douceur de cœur pour elle.
Plût à Dieu qu’il fût vrai ! la chose serait belle[1].
Enfin, votre intérêt l’oblige à le mander :
840Sur l’hymen qui vous trouble elle veut le sonder,
Savoir ses sentiments, et lui faire connaître
Quels fâcheux démêlés il pourra faire naître,
S’il faut qu’à ce dessein il prête quelque espoir.
Son valet dit qu’il prie, et je n’ai pu le voir ;
845Mais ce valet m’a dit qu’il s’en allait descendre.
Sortez donc, je vous prie, et me laissez l’attendre.

Damis
Je puis être présent à tout cet entretien.


Dorine
Point. Il faut qu’ils soient seuls.


Damis
Point. Il faut qu’ils soient seuls. Je ne lui dirai rien.


Dorine
Vous vous moquez : on sait vos transports ordinaires, ;

850Et c’est le vrai moyen de gâter les affaires.
Sortez.

Damis
Sortez. Non ; je veux voir, sans me mettre en courroux.


Dorine
Que vous êtes fâcheux ! Il vient. Retirez-vous.


Damis va se cacher dans un cabinet qui est au fond du théâtre.

  1. Déjà trois fois les spectateurs ont été prévenus des sentiments de Tartuffe pour Elmire : ils le seront encore une quatrième, et la déclaration suivra aussitôt. Molière avait besoin d’avertir le public d’une scène aussi extraordinaire ; et c’est en lui promettant longtemps d’avance un plaisir, celui de surprendre les secrets de l’hypocrite, qu’il prépare cette scène, et qu’il en établit la vraisemblance.
    (Aimé Martin.)