ACTE SECOND
Scène I
Notre dinse, Piarrot, tu t’es trouvé là bien à point.
Parquienne, il ne s’en est pas fallu l’épaisseur d’une éplinque, qu’ils ne se sayant nayés tous deux.
C’est donc le coup de vent d’à matin qui les avait renvarsés dans la mar ?
Aga[1], quien, Charlotte, je m’en vas te conter tout fin drait comme cela est venu ; car, comme dit l’autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc j’etions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste ; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi, par fouas, je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j’ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouillait dans gliau, et qui venait comme envars nous par secousse. Je voyais cela fixiblement, et pis tout d’un coup je voyais que je ne voyais plus rian. Hé ! Lucas, c’ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas. Voire, ce m’a-t-il fait, t’as eté au trépassement d’un chat, t’as la vue trouble[2]. Palsanquienne, c’ai-je fait, je n’ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m’a-t-il fait, t’as la berlue. Veux-tu gager, c’ai-je fait, que je
- ↑ Aga est une interjection d’admiration encore usitée dans quelques pays de France.
- ↑ Ce dicton se trouve dans la Comédie des Proverbes, d’Adrien de Montluc : « Tu as la berlue ; je crois que tu as été au trépassement d’un chat, tu vois trouble. » (Auger.) — On peut penser que cela se rattache à une croyance générale au moyen âge, et qui avait son origine dans la magie, croyance d’après laquelle on tuait un chat noir, quand on voulait se livrer à quelque enchantement, la forme du chat étant l’une de celles que le diable prenait de préférence dans ses transformations.