Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/128

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L’APOTHICAIRE.

Non, monsieur ; ce n’est pas moi qui suis le médecin, à moi n’appartient pas cet honneur ; et je ne suis qu’apothicaire, apothicaire indigne, pour vous servir.

ÉRASTE.

Et monsieur le médecin est-il à la maison ?

L’APOTHICAIRE.

Oui. Il est là embarrassé à expédier quelques malades ; et je vais lui dire que vous êtes ici.

ÉRASTE.

Non : ne bougez ; j’attendrai qu’il ait fait. C’est pour lui mettre entre les mains certain parent que nous avons, dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie, que nous serions bien aises qu’il pût guérir avant que de le marier.

L’APOTHICAIRE.

Je sais ce que c’est, je sais ce que c’est ; et j’étois avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi, vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile. C’est un homme qui sait la médecine à fond, comme je sais ma croix de par Dieu, et qui, quand on devroit crever, ne démordroit pas d’un iota des règles des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et, pour tout l’or du monde, il ne voudroit pas avoir guéri une personne avec d’autres remèdes que ceux que la Faculté permet.

ÉRASTE.

Il fait fort bien. Un malade ne doit point vouloir guérir que la Faculté n’y consente.

L’APOTHICAIRE.

Ce n’est pas parce que nous sommes grands amis que j’en parle ; mais il y a plaisir d’être son malade ; et j’aimerois mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d’un autre[1]. Car, quoi qu’il puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l’ordre ; et, quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n’ont rien à vous reprocher.

ÉRASTE.

C’est une grande consolation pour un défunt.

  1. Molière a déjà employé ce trait dans l’Amour médecin, acte II, scène vi.