Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
LE BOURGEOIS GENTILHOMME.

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui, on dit cela.

LE MAÎTRE À DANSER.

Et faire un mauvais pas peut-il procéder d’autre chose que de ne savoir pas danser ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Cela est vrai, et vous avez raison tous deux.

LE MAÎTRE À DANSER.

C’est pour vous faire voir l’excellence et l’utilité de la danse et de la musique[1].

MONSIEUR JOURDAIN.

Je comprends cela à cette heure.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Voulez-vous voir nos deux affaires ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Je vous l’ai déjà dit, c’est un petit essai que j’ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.

MONSIEUR JOURDAIN.

Fort bien.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE, aux musiciens.

Allons, avancez, (À monsieur Jourdain.) Il faut vous figurer qu’ils sont habillés en bergers.

MONSIEUR JOURDAIN.

Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout.

LE MAÎTRE À DANSER.

Lorsqu’on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n’est guère naturel, en dialogue, que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions[2].

  1. L’importance exagérée que les artistes attachent souvent à l’exercice de leurs talents, et ce que dit Molière de leur vanité, se trouve pleinement confirmé par deux de nos plus célèbres danseurs, Marcel et Vestris. Marcel avait la prétention de reconnaître un homme d’État à sa manière de danser, et Vestris disait, en parlant de lui-même, et cela sérieusement : « Il n’y a que trois grands hommes en Europe : le roi de Prusse, Vollaire et moi ! »
  2. Ce trait est dirigé contre le grand opéra italien, que Mazarin avait introduit à la cour de 1646, et qui donna naissance à notre Académie royale de musique. Cette dernière venait d’être instituée en 1669, un an avant la représentation du Bourgeois gentilhomme. (Aimé Martin.)