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ACTE II, SCÈNE VI.


Scène VI.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. MONSIEUR JOURDAIN, UN LAQUAIS.
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, raccommodant son collet.

Venons à notre leçon.

MONSIEUR JOURDAIN.

Ah ! monsieur, je suis fâché des coups qu’ils vous ont donnés.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Cela n’est rien. Un philosophe sait recevoir comme il faut les choses ; et je vais composer contre eux une satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Tout ce que je pourrai ; car j’ai toutes les envies du monde d’être savant ; et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j’étois jeune.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Ce sentiment est raisonnable ; nam, sine doctrina, vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin, sans doute.

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui ; mais faites comme si je ne le savois pas. Expliquez-moi ce que cela veut dire.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Cela veut dire que, sans la science, la vie est presque une image de la mort.

MONSIEUR JOURDAIN.

Ce latin-là a raison.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

N’avez-vous point quelques principes, quelques commencements des sciences ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Oh ! oui, je sais lire et écrire.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Par où vous plaît-il que nous commencions[1] ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?

  1. Dans les Nuées d’Aristophane, Socrate fait la même question à Strepsiade : « Or çà ; par où voulez-vous commencer ? que voulez-vous apprendre ? Parlez, vous enseignerai-je à connaître les mesures ou règles des vers et de leur harmonie ? » (Acte II, scène i, vers 686 et suivants.)