Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/286

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COVIELLE.

Qui songe à cela ?

CLÉONTE.

Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et rompre ensemble tout commerce.

COVIELLE.

J’y consens.

CLÉONTE.

Ce monsieur le comte qui va chez elle lui donne peut-être dans la vue ; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l’éclat de son inconstance. Je veux faire autant de pas qu’elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter.

COVIELLE.

C’est fort bien dit, et j’entre pour mon compte dans tous vos sentiments.

CLÉONTE.

Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d’amour qui me pourroient parler pour elle. Dis-m’en, je t’en conjure, tout le mal que tu pourras. Fais-moi de sa personne une peinture qui me la rende méprisable, et marque-moi bien, pour m’en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle.

COVIELLE.

Elle, monsieur ? voilà une belle mijaurée, une pimpesouée[1] bien bâtie, pour vous donner tant d’amour ! Je ne lui vois rien que de très médiocre ; et vous trouverez cent personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits.

CLÉONTE.

Cela est vrai, elle a les yeux petits, mais elle les a pleins de feu, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu’on puisse voir.

COVIELLE.

Elle a la bouche grande.

CLÉONTE.

Oui ; mais on y voit des graces qu’on ne voit point aux autres bouches ; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde.

  1. Pimpesouée se dirait d’une femme qui fait la délicate et la précieuse.