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LA COMTESSE D’ESCARBAGNAS

leurs billets, qui peuvent faire voir quelles propositions j’ai refusées ; il n’est pas nécessaire de vous dire leurs noms : on sait ce qu’on veut dire par les galants de la cour.

Julie.

Je m’étonne, madame, que de tous ces grands noms que je devine, vous ayez pu redescendre à un monsieur Tibaudier, le conseiller, et à un monsieur Harpin, le receveur des tailles. La chute est grande, je vous l’avoue ; car pour monsieur votre vicomte, quoique vicomte de province, c’est toujours un vicomte, et il peut faire un voyage à Paris, s’il n’en a point fait ; mais un conseiller, et un receveur, sont des amants un peu bien minces, pour une grande comtesse comme vous.

La Comtesse.

Ce sont gens qu’on ménage dans les provinces pour le besoin qu’on en peut avoir ; ils servent au moins à remplir les vides de la galanterie, à faire nombre de soupirants ; et il est bon, madame, de ne pas laisser un amant seul maître du terrain, de peur que, faute de rivaux, son amour ne s’endorme sur trop de confiance.

Julie.

Je vous avoue, madame, qu’il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites ; c’est une école que votre conversation, et j’y viens tous les jours attraper quelque chose.


Scène XII.

La Comtesse, Julie, Andrée, Criquet.
Criquet, à la comtesse.

Voilà Jeannot, de monsieur le conseiller qui vous demande, madame.

La Comtesse.

Hé bien ! petit coquin, voilà encore de vos âneries. Un laquais qui sauroit vivre, auroit été parler tout bas à la demoiselle suivante, qui seroit venue dire doucement à l’oreille de sa maîtresse : Madame, voilà le laquais de monsieur un tel qui demande à vous dire un mot ; à quoi la maîtresse auroit répondu : Faites-le entrer.