Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/60

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Maître Jacques, à part.

Grande merveille !

Harpagon

Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chère ?

Maître Jacques

Oui, Si vous me donnez bien de l’argent.

Harpagon

Que diable, toujours de l’argent ! Il semble qu’ils n’aient autre chose à dire : De l’argent, de l’argent, de l’argent ! Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent ! toujours parler d’argent ! Voilà leur épée de chevet, de l’argent#1 !

Valère

Je n’ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille de faire bonne chère avec bien de l’argent ! c’est une chose la plus aisée du monde, et il n’y a si pauvre esprit qui n’en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d’argent.

Maître Jacques

Bonne chère avec peu d’argent !

Valère

Oui.

Maître Jacques, à Valère.

Par ma foi, Monsieur l’intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien vous mêlez-vous céans d’être le factoton.

Harpagon

Taisez-vous. Qu’est-ce qu’il nous faudra ?

Maître Jacques

Voilà monsieur votre intendant, qui vous fera bonne chère pour peu d’argent.

Harpagon

Haye ! Je veux que tu me répondes.

Maître Jacques

Combien serez-vous de gens à table ?

Harpagon

Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.[1]

  1. L’épée de chevet, l’épée qu’on ne quitte jamais, qu’on place dans son lit. A auguré, L’expression qu’on a sans cesse à la bouche