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Molière avait, à la vérité, de sérieux obstacles à vaincre. Les premières pièces que joua sa troupe furent fort mal accueillies. Mais dès qu’il se fut risqué, en novembre 1658, à donner l’Étourdi, et bientôt après la seconde comédie qu’il avait écrite en province,le Dépit amoureux, le succès vint, très grand, et tel que nul ne le put contester. C’est ainsi que dans Élomire hypocondre[1], Le Boulanger de Chalussay, un ennemi de Molière, lui fait dépeindre ses débuts à Paris :

Après Héraclius on siffla Rodogune ;
Cinna le fut de même, et le Cid, tout charmant,
Reçut avec
Pompée un pareil traitement.
Dans ce sensible affront ne sachant où m’en prendre,
Je me vis mille fois sur le point de me pendre.
Mais d’un coup d’étourdi que causa mon transport,
Où je devais périr je rencontrai le port :
Je veux dire qu’au lieu des pièces de
Corneille,
Je jouai
l’Étourdi, qui fut une merveille ;
Car à peine on m’eut vu la hallebarde au poing,
À peine on eut ouï mon plaisant baragouin,
Vu mon habit, ma toque, et ma barbe, et ma fraise,
Que tous les spectateurs furent transportés d’aise,
Et qu’on vit sur leurs fronts s’effacer ces froideurs
Qui nous avaient causé tant et tant de malheurs.
Du parterre au théâtre, et du théâtre aux loges,
La voix de cent échos fait cent fois mes éloges ;
Et cette même voix demande incessamment
Pendant trois mois entiers ce divertissement.
Nous le donnons autant, et sans qu’on s’en rebute,
Et sans que cette pièce approche de sa chute.

En effet, l’Étourdi eut, dit La Grange, « un grand succès et produisit de part pour chaque acteur soixante et dix pistoles ». Dans la suite, il fut donné à diverses reprises devant le roi, notamment trois fois avec les Précieuses ; et, du vivant de Molière, il fut joué sur son théâtre presque tous les ans.

  1. Anagramme de Molière.