Page:Molière Femmes Savantes.djvu/15

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CLITANDRE.

Oüy, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin
M’inspire au fond de l’ame un dominant chagrin.
Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,
À me deshonorer, en prisant ses Ouvrages ;
C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord parû,
Et je le connoissois avant que l’avoir vû.
Je vis dans le fatras des Écrits qu’il nous donne,
Ce qu’étale en tous lieux sa pédante Personne,
La constante hauteur de sa présomption ;
Cette intrépidité de bonne opinion ;
Cet indolent état de confiance extrême,
Qui le rend en tout temps si content de soy-mesme,
Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit ;
Qu’il se sçait si bon gré de tout ce qu’il écrit ;
Et qu’il ne voudroit pas changer sa renommée
Contre tous les honneurs d’un General d’Armée.

HENRIETTE.

C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

CLITANDRE.

Jusques à sa Figure encor la chose alla,
Et je vis par les Vers qu’à la teste il nous jette,
De quel air il falloit que fût fait le Poëte ;
Et j’en avois si bien deviné tous les traits,
Que rencontrant un Homme un jour dans le Palais,
Je gageay que c’estoit Trissotin en personne,
Et je vis qu’en effet la gageure estoit bonne.

HENRIETTE.

Quel conte !

CLITANDRE.

Quel conte !Non, je dis la chose comme elle est :
Mais je voy vostre Tante. Agréez, s’il vous plaist,
Que mon cœur luy declare icy notre mistere,
Et gagne sa faveur auprès de vostre Mere.