Page:Mommsen - Histoire romaine - Tome 3.djvu/380

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dû quitter Rome ; ce n’était que calomnie pure, sans nul doute, que ces accusations de corruption, de détournement de deniers, bien moins dirigées contre lui que contre son frère ; elles ne suffisent point à expliquer sa rancune. Il se montra vraiment le Scipion que nous connaissons, quand au lieu de se justifier par l'apport de ses livres de comptes, il les lacéra devant le peuple et devant son accusateur, et invita les Romains à monter avec lui au temple de Jupiter pour y célébrer le jour anniversaire de la victoire de Zama ! Le peuple laissa là le dénonciateur, et suivit l'Africain au Capitole : ce fut son dernier beau jour ! D’humeur altière, se croyant pétri d’un autre et meilleur limon que le commun des hommes, tout adonné au système des influences de famille, traînant derrière lui dans la voie de ses grandeurs son frère Lucius, triste homme de paille d’un héros, il s’était fait beaucoup d’ennemis, et non sans motifs. Une noble hauteur est le bouclier du cœur : l’excès de l’orgueil le découvre, et le met en butte à toutes les blessures, grandes et petites : un jour même cette passion étouffe le sentiment natif de la vraie fierté. Et puis, n’est-ce pas toujours le propre de ces natures étrangement mêlées d’or pur et de poussière brillante, comme était Scipion, d’avoir besoin, pour charmer les hommes, de l’éclat du bonheur et de la jeunesse ? Quand l’un et l’autre s’en vont, l’heure du réveil arrive, heure triste et douloureuse par-dessus tout pour l’enchanteur dédaigné !